Si Musique et Solidarité n’ont pas la même définition, ces termes n’en sont pas moins liés. La Musique est une médiation, un lieu « où tout se joue au milieu », c’est une négociation permanente entre les artistes, le public et l’ensemble du système social qui permet à la musique d’être jouée. La musique, en tant qu’expérience sociale, crée du lien entre les individus qui la vivent et, c’est en ce sens que nous pouvons la lier à la notion de Solidarité. Former un groupe, organiser un concert de soutien, dénoncer, échanger, prévenir, depuis longtemps la musique est source d’initiatives solidaires.
Se regrouper pour affronter notre monde
Souvent, former un groupe, c’est vaincre ensemble la peur de notre monde. Nous nous rassemblons en « tribus » musicales pour remédier à la désagrégation du lien social. « Les jeunes citadins se regrouperaient ainsi en petites communautés, afin de revivre certaines valeurs perdues : la convivialité, la sociabilité, la solidarité »[1]. Ainsi, la musique est un identifiant social. Par la musique, nous nous bâtissons une identité : nous hiérarchisons nos goûts (le meilleur comme le pire) et nous nous différencions des autres. Lorsque des individus qui partagent les mêmes codes se rassemblent (formation d’un groupe, d’un mouvement, d’une tendance…), ils s’accordent sur la jouissance d’une émotion. La Musique n’est alors plus une simple activité de fabrication de la conscience, c’est une expérience sociale. Nous nous identifions à un groupe, à un mouvement musical, pour atténuer la peur d’être seul. Nous sommes à la recherche constante d’une expérience transcendante et, c’est ainsi qu’il est possible de faire le lien avec un certain retour de la religiosité dans la musique. Nous faisons émerger une « spiritualité de l’homme vers le bruit » avec ses traditions, ses rites, ses symboles, ses conduites, ses croyances. Nos tatouages, nos danses, nos artistes préférés, nos déviances ou encore notre vision du monde sont conditionnés par notre appréciation de la musique.
Au sein d’une société post constructiviste globalisée, où les frontières étatiques s’estompent, nous cherchons de plus en plus à appartenir à des groupes de personnes qui partagent les mêmes codes. Nous nous confortons dans des pratiques anticonformistes, nous « devenons » goth, punk, metalleux, techos, etc. L’émergence de ces différentes « tribus » relèvent d’une démarche identitaire. Le retranchement dans la communauté serait l’expression d’une opposition à la mondialisation en répondant par la diversité ou l’exception culturelle. Cependant, gare à ne pas confondre cette diversité avec l’ouverture culturelle. S’il existe un réel éclatement des pratiques culturelles, il subsiste néanmoins de nombreuses guerres de clochers (par exemple : les « true » metalleux vs. les rappeurs) qui ne vont pas dans le sens de l’ouverture culturelle et du respect mutuel.
L’aboutissement de la création d’un lien social et solidaire au travers de la musique est probablement l’émergence de communautés autarciques au sein des mouvements hippies et punks. Dans les années 80, CRASS collectif emblème de l’anarchisme punk, composé de musiciens mais aussi de peintres et de poètes, fonde une communauté autarcique en Angleterre. Il produit ses propres vêtements et sa propre nourriture. Malgré le harcèlement de la police de Margaret Thatcher, le collectif va répandre ses idées, en vendant plus d’un million d’albums, sur l’ensemble du globe et permettre la multiplication des squats libres. Plus récemment, ce sont les crew hip hop ou les collectifs artistiques (exemple : la Team Nowhere, Coriace, Antistatic au sein de la scène néo-metal française) qui représentent des résurgences des communautés autarciques des décennies précédentes. En reprenant l’adage qui dit que « L’union fait la force », ces collectifs d’artistes aux styles similaires avaient pour objectif de gagner une visibilité habituellement impossible à obtenir lorsque l’on s’autoproduit de manière isolée dans un contexte économique où les plus grands producteurs disposent d’une situation quasi monopolistique.
Agir en musique
La Musique est bien plus qu’une médiation futile entre des individus pour faire vivre un loisir et du bon temps. La Musique, c’est aussi aider, prévenir, dénoncer ici et là-bas. C’est contester et donner de son énergie pour être utile à ceux qui souffrent, à ceux qui sont dans le besoin. Le tissu associatif, particulièrement important en France, représente cette volonté de construire un monde meilleur et de promouvoir une vision humaniste dans notre société. L’organisation de concerts, l’édition d’albums, la publication de fanzines, le soutien aux artistes sont autant d’initiatives qui permettent de briser notre isolement, de nous ouvrir à d’autres cultures et d’échanger. C’est dans ce sens qu’est né, par exemple, Solidarité Sida et son festival Solidays. La preuve de son succès est clairement discernable avec le record d’affluence qu’il eut en 2008. Plus de 120.000 festivaliers se sont regroupés pour montrer leur engagement fidèle pour la lutte contre le Sida. La Musique est un langage international, dont l’utilisation parait justifiée dans le cadre de telles actions humanitaires. Prévert déclarait que les « frontières [sont] effacées sur les atlas des sons ».
Les causes pour lesquelles s’allient les artistes ou le monde musical sont diverses : l’écologie, la santé, l’économie, … Que ce soit un artiste qui reverse ses profits à une ONG suite à la production d’un album ou qu’un concert de soutien ait lieu (par exemple, « les Enfoirés »), notre socle culturel nous permet de critiquer et de mettre en mouvement permanent notre société dans une optique de progrès.
La Musique « contemporaine » se différencie de la Musique « classique » sous plusieurs aspects. La Musique « classique » est associée à un aspect « savant » (notamment par le travail de composition) mais ce qui apparaît plus pertinent est probablement le fait que la Musique « contemporaine » privilégie la diffusion d’un message plutôt que d’une mélodie. Si une chanson ne peut pas changer le monde, elle reste tout de même un moyen d’action ou, tout du moins, un prétexte à l’action. La Musique a toujours provoqué des sentiments actifs. Les chants guerriers et les marches militaires sont conçus pour susciter une ardeur. Les chorales religieuses cherchent, quant à elles, à raffermir la ferveur des pratiquants. De nombreux albums de soutien à des causes diverses ont toujours Une chanson donne du sens à une situation même si chacun peut l’interpréter à sa manière. Une chanson nous raconte une histoire que nous ne cessons de construire, détruire pour reconstruire. Contrairement à la Musique « savante », la biographie des artistes modernes donne un sens à leurs chansons, et fait émerger une « démarche artistique ». C’est ainsi qu’une chanson nous montre la voie de la réflexion et nous pousse à une remise en question permanente.
L’éternelle récupération par le secteur privé
Cependant, nous assistons régulièrement à la récupération des valeurs humanistes de la Musique par le secteur privé. Les entreprises utilisent la Musique comme moyen de transférer des valeurs justes à leurs marques en s’associant avec des artistes ou, tout simplement, à des mélodies. L’objectif est bien évidemment de séduire une cible pour vendre un maximum de biens et services. Si SFR se positionne comme l’opérateur mobile n°1 sur la musique numérique et propose des opérations telles que SFR Jeunes Talents, ce n’est certainement pas pour faire découvrir des jeunes artistes. A la limite, ce serait pour découvrir des potentiels de vente… En attendant, la société de téléphonie mobile bénéficie d’une image de marque qui la fait passer comme un découvreur de talents aux yeux du grand public.
Les marques disposent aujourd’hui d’une « identité sonore » que confectionnent les designers sonores. Souvenez-vous des publicités, même bas de gamme, pour les assurances MMA, les crédits Cofidis ou encore les petits déjeuners Ricoré. Pendant un temps, en pleine crise du disque, les managers ont cru que le salut de l’industrie phonographique viendrait de ses marques. Les artistes, en vendant leur musique distribuée via des codes barres sur, par exemple, un paquet de lessive, pourraient disposer d’un revenu décent pour subsister. Nous pouvons émettre un doute à ce qu’aurait pu en tirer l’artiste en terme de crédibilité… Cependant, le bénéfice était clairement identifiable pour les marques. La Musique fascine les publicitaires car elle suggère certains sentiments (la joie, l’excitation …), elle établit des connexions entre les sentiments et l’objet (la douceur, la force, …). Encore mieux, elle s’associe à certains moments de notre vie (la jeunesse, la nostalgie, …), conservés par la mémoire affective.
Le caractère éminemment social de la Musique la lie de manière inéluctable à la Solidarité. Le thème est vaste, il mériterait d’être abordé plus en détails et se prête à de nombreuses discussions…
[1] BISCHOFF Jean-Louis, Tribus musicales, spiritualité, et fait religieux : Enquête sur les mouvances rock, punk, skinhead, gothique, hardcore, techno, hip-hop, L’Harmattan, 2007, p. 11